L’Orient Le Jour // 16 03 2013

CULTURE // MOIS DE LA FRANCOPHONIE – RENCONTRE

Un voyage dans le temps sur les « Wagons libres » de Sandra Iché

 Par Maya GHANDOUR HERT

Wagons libres photo

 

 

 

 

 

Dans une performance qui allie notes écrites, fichiers sonores et vidéo, Sandra Iché raconte, à travers « Wagons libres », l’histoire de l’« Orient Express » et de ce train en marche qu’est… l’histoire. 

Une vieille maison jaune. Une terrasse délabrée. L’odeur des fleurs d’orangers. C’est à Zokak el-Blat, dans cette singulière demeure nommée «The Mansion», que loge Sandra Iché lors de son séjour beyrouthin. L’artiste française, invitée à présenter sa performance Wagons libres dans le cadre du Mois de la francophonie, n’est pas étrangère au pays. Elle y est déjà venue plusieurs fois, la première en 1999, pour y effectuer ses recherches sur la revue l’Orient Express dans le cadre de sa maîtrise d’histoire. Le magazine francophone, fondé et dirigé par Samir Kassir, avait interpellé sa curiosité lorsque, lors d’une conférence, quelqu’un avait signalé sa fermeture en 1998 comme le signe d’une «décadence culturelle» de la francophonie libanaise. «À l’époque, je m’intéressais au sujet de la reconstruction d’une société dans la période de l’après-guerre», indique Iché qui s’est trouvée d’emblée séduite par les premiers numéros consultés à la bibliothèque de l’Institut du monde arabe à Paris. Elle effectue alors plusieurs moyens séjours à Beyrouth afin de rencontrer Samir Kassir et les personnes qui ont contribué à cette publication.

Le magazine avait une énergie très particulière. Je l’ai ressentie d’abord en lisant les premiers numéros. Cette impression s’est confirmée lorsque j’ai rencontré l’équipe de l’Orient Express.»
Iché se souvient avoir été touchée par la dynamique d’une écriture «très précise et très subjective en même temps». Et d’enchaîner: «On leur a reproché d’ailleurs d’être un microcosme de francs-tireurs imbus d’un certain élitisme. Mais ces plumes critiques et incisives n’étaient pas pour autant moralistes ou normatives. Je me suis attachée à essayer de rendre compte de l’histoire de ce magazine, non seulement parce que son contenu était intéressant à décortiquer et pouvait permettre de raconter ce qu’était la société libanaise en train de se poser des questions après-guerre. Mais aussi parce que l’histoire même du magazine, sa relation avec L’Orient-Le Jour, la maison mère, avec la régie publicitaire était aussi une histoire à raconter, elle disait des choses sur la liberté de la presse et ses relations avec la toute-puissance financière et publicitaire.» La maîtrise, remaniée, a par la suite fait l’objet d’une publication par les presses de l’IFPO en 2009.

Dix ans après ses premiers séjours, deux ou trois années après l’assassinat de Samir Kassir, elle retourne à Beyrouth et mène une nouvelle série d’entretiens avec ces hommes et ces femmes qui gravitaient autour de l’orbite Kassir du temps de l’Orient Express. Mais, attention, nulle nostalgie larmoyante dans le processus. En plaçant les interviewés dans le futur, en 2030, l’artiste propose de faire du souvenir «l’outil de remise en jeu du présent». Résultat: une performance où l’autofiction joue sur le fil ténu qui sépare le vrai du fabriqué, le réel du fictif, le subjectif de l’objectif. Questionnant ainsi la manière dont l’histoire avec un grand H est écrite, racontée ou transmise.

Ces rencontres sont la matière première de Wagons libres. Elles ont été réalisées selon la méthode des “archives du futur” développée par Manuela Zechner. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une projection dans le futur. Mais plutôt d’une manière de se poser dans l’avenir, en 2030, et de regarder en arrière, puis de tirer les vers du nez à ce présent, en toute perspective.»

Après avoir étudié la danse classique, Sandra Iché s’est initiée à l’arabe et a étudié les sciences politiques et l’histoire, avec un passage par l’école dirigée par Anne Teresa de Keersmaeker à Bruxelles, PARTS (Performing Art Training and Research Studios). Elle a été ensuite, pendant 4 ans, interprète de la compagnie Maguy Marin. À signaler qu’elle anime également un atelier de travail dans le cadre de «Sidewalks Zoukak», aujourd’hui et demain, de 10h à 15h.

Quant à Wagons libres, ce projet conçu par Sandra Iché et réalisé par Mary Chebbab, Ali Cherri, Virginie Colemyn, Gaël Chapuis, Laure de Selys, Sylvie Garot, Renaud Golo, Sandra Iché, Lenaïg Le Touze, Carol Mansour, Pascal Schaer et Vincent Weber, produit par «Association Wagons libres», il sera donné le jeudi 21 (en français) et le vendredi 22 mars (en anglais) à Ashkal Alwane à 20h30. Entrée libre, réservation conseillée au 01/423879.

Le programme : « Le printemps de la francophonie » sous le signe de la jeunesse, de la créativité et de l’inédit

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